Marchés publics : desappels d’offres qui coulent de source
Les textes européens permettent, voir imposent, le recours au sourçage dans les passations de marchés publics. Fin novembre, la FNPHP Auvergne Rhône-Alpes a organisé une matinée en présence d’un avocat spécialisé, pour en expliquer les intérêts et limites.Pascal Fayolle
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Sylvain Salles est avocat spécialisé en droit public, titulaire de la qualification de commande publique, chargé d’enseignement à l’Université de Lyon III et travaille pour le cabinet Axone, à Lyon. La commande publique semble en effet avoir peu de secrets pour lui. Sur un train d’enfer, il peut présenter un texte et ce qu’il implique pour les personnes concernées, avec une clarté et une prise de recul très efficace. Le 22 novembre dernier, il l’a fait sur une thématique encore assez nouvelle, le sourçage, à l’invitation de la Fédération nationale des producteurs de l’horticulture et des pépinières.
Après avoir défini en quoi consiste le sourçage (voir encadré), Sylvain Salles a rappelé qu’il a pour origine un texte de l’Union européenne qui date de 2014 (articles 40 et 41 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics). En 2016, la directive a été transposée dans le droit français et depuis, l’acheteur public peut « effectuer des consultations » ou « réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences ». En découlent 4 actions possibles pour l’acheteur : consulter les opérateurs économiques, notamment pour vérifier leur capacité à répondre à ses besoins, réaliser des études de marché, solliciter les opérateurs pour obtenir leur avis sur ses projets, et enfin informer ces mêmes opérateurs des projets et de leurs exigences. Des démarches qui visent à limiter les risques d’appels d’offres infructueux, mais qui demandent à être utilisées avec précaution. Par contre, les textes imposent à l’acheteur, en contrepartie de la souplesse offerte par la démarche, une définition précise de ses besoins.
Connaître les techniques en amont
Il existe deux formes de sourçage, a expliqué l’avocat. Le sourçage peut être ouvert, ce qui consiste à informer l’ensemble des opérateurs économiques sur un projet de marché, sous forme de sollicitation d’avis, d’appels à idées ou à projets, ou encore sous forme de participation à des forums ou des salons. Objectif : confronter le besoin à la réalité et mobiliser la concurrence afin de réduire le risque « d’infructuosité ». L’autre forme de sourçage est dite restreinte. Elle suppose une démarche de prospection préalable et consiste à avoir des échanges bilatéraux entre l’acheteur et les entreprises ayant été détectées lors de la prospection ou ayant déjà répondu à des appels d’offres précédents. Cette démarche suppose aussi que la définition du besoin soit assez avancée. « L’intérêt du sourçage est de permettre aux acheteurs de disposer d’une vision complète et à jour des solutions disponibles et innovantes, explique Sylvain Salles. Et en conséquence de rendre plus efficiente la commande publique. Cela permet aussi une meilleure connaissance des solutions techniques en amont de la procédure ».
Le risque de demander un produit qui n’existe pas est donc réduit, tout comme celui d’avoir un appel d’offres infructueux, ou de découvrir, à l’ouverture des offres, que les prix du marché dépassent significativement l’enveloppe initialement prévue ! Le sourçage est également destiné à favoriser la détermination des délais d’exécution d’une prestation. En dialoguant avec les fournisseurs, l’acheteur peut aussi, selon Sylvain Salles, s’apercevoir que certaines clauses insérées dans le règlement de consultation ou dans le cahier des charges empêchent certaines entreprises de soumissionner, ou renchérissent inutilement le coût du futur marché. En conséquence, l’acheteur peut, grâce au sourçage, mesurer l’opportunité de la procédure qu’il a choisie, la pertinence de son allotissement, juger de l’éventualité d’avoir recours à une variante. Il peut enfin juger du bien-fondé de ses critères de sélection et des spécifications techniques qu’il a choisies.
Enfin, dernier avantage, et pas des moindres, la technique permet de motiver certains opérateurs à répondre à un appel d’offres. Écouter les opérateurs et dédramatiser la démarche de se tourner vers les collectivités peut motiver de nouvelles entreprises. Même si, reconnaît l’avocat, la première fois, ce n’est pas forcément facile, surtout pour une petite entreprise et si la dématérialisation n’a pas arrangé les choses. Mais il cite l’exemple du boulanger d’une commune, qui ne répond jamais aux appels d’offres des cantines de son territoire et qui pourrait pourtant s’intéresser à ce sujet, pourvu qu’on prenne le temps de le démarcher. C’est un exemple facilement transposable à notre secteur.
Il existe quatre types de démarches possibles
Sylvain Salles a ensuite souligné combien le texte qui régit le sourçage est peu formel. Il dit simplement que l’acheteur peut effectuer des consultations, réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques du projet. Il n’encadre pas les démarches d’un point de vue réglementaire, laissant les acheteurs très libres de les adapter aux besoins. Quatre démarches sont alors possibles : demande d’information, échanges informels, rencontres formelles et visite de locaux ou aide à la rédaction du cahier des charges.
La demande d’information peut passer par une annonce dans une revue ou un site spécialisé, voire par le contact d’une entreprise via son site internet, pour se renseigner sur l’existant et le développement de ces entreprises. La démarche fait peser peu de risques sur l’acheteur sous réserve d’une large diffusion de l’information et de rendre son accès aisé. Le support de diffusion doit être bien choisi, le délai de réponse des opérateurs suffisant, la nature des questions posées doit respecter le secret des affaires. Dans la pratique, les démarches sont diverses, questions plus ou moins détaillées via une grille ou questionnaire avec réponses ouvertes.
L’échange informel peut prendre la forme d’une rencontre physique, par exemple sur un salon. La rencontre formelle peut se faire sous forme de réunions d’information. On s’assure ainsi que le discours émis est le même pour tous. De nombreuses grandes collectivités organisent aujourd’hui des réunions ouvertes pour présenter les grands projets à venir. Il s’agit là d’une démarche de sourçage qui peut aider à réduire les délais des appels d’offres. Attention toutefois à ne pas divulguer de secrets industriels et commerciaux et au risque d’entente entre les fournisseurs .
Enfin, la visite de locaux ou l’aide à la rédaction de cahiers des charges est une forme encore plus poussée de sourçage. Il faut toutefois être attentif aux risques juridiques : en veillant à ne pas enfreindre la nécessité de respecter l’égalité d’information entre les candidats.
Gare aux copier-coller dans les CCTP
Voilà pour le cadre général, mais pour faire face aux risques, en particulier de rupture de l’égalité de traitement des candidats, plusieurs conditions encadrent le texte. L’acheteur a obligation de prendre ses distances par rapport aux résultats du sourçage. Gare à celui qui effectuerait un copier/coller des informations transmises par une entreprise pour réaliser son cahier des charges ! Il ne faut pas non plus « trop s’inspirer des solutions obtenues à partir du sourçage pour rédiger les documents de consultation ». Un dosage délicat, estime l’avocat.
Un CCTP, cahier des clauses techniques particulières, auquel une seule entreprise peut répondre sera sanctionné. De la même manière, des spécifications techniques rendant un identifiable bien auquel se référerait un CCTP constitueraient à coup sûr une atteinte à l’égalité de traitement des candidats. Des références de jurisprudence existent dans ces deux cas. Les CCTP doivent donc être rédigés dans des termes objectifs.
Pour se prémunir de tels risques, Sylvain Salles conseille de fixer les règles du jeu dans un règlement. Il conseille aussi d’en tenir une traçabilité. De la même manière, il est préférable de se livrer à des échanges relativement courts et de laisser « un délai raisonnable » entre la fin de la prise d’informations et le lancement de la consultation. Le délai de réponse à l’appel d’offres doit aussi être suffisant pour que les entreprises qui n’ont pas été consultées puissent néanmoins répondre.
Enfin, il importe, nous l’avons déjà dit, de rétablir ou de maintenir l’équité entre les candidats. Il est évidemment interdit d’exclure du marché une entreprise qui a participé à sa préparation. Si des informations ont été données à un fournisseur ou à tous les fournisseurs inclus dans le sourçage, elles doivent être communiquées à tous. Le rapport de présentation de la procédure de passation de marché, rendu obligatoire, peut comporter la description des mesures prises par le pouvoir adjudicateur pour s’assurer que la concurrence n’a pas été faussée.
Ce n’est qu’en cas de réelle impossibilité de remédier aux asymétries d’informations qu’un candidat « sourcé » peut être exclu de la procédure par l’acheteur.
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